STILL DEAD

 

Tout se prête, dans la peinture de Noël Varoqui, aux plis ; qu’il s’agisse de couvertures, de lits, draps, oreillers, vêtements, voire de viandes, de visages ou de chiens, les bourrelets de tissus ou de peau prolifèrent d’une toile à l’autre, emplissant plus ou moins l’espace de la toile, dans des couleurs issues d’une palette ramassée entre le brun, le gris et le blanc.

 

Ces plis nous apparaissent comme un principe de variations sur l’art de cerner un sujet. Ils figurent comme le cadre autour du sujet, qui finissent par devenir le sujet même de la peinture.

 

Classique, tel serait l’adjectif qui qualifierait d’emblée les thèmes de la peinture de Varoqui : natures mortes, lits, autoportraits, animaux. Mais chaque fois, ces thèmes viennent jouer avec la mort. Loin des personnages « absorbés » dans les tableaux de sommeil chers à Michael Fried, les dormeurs de Noël Varoqui évoquent des gisants. Les sièges de ses tableaux sont vides, recouverts d’un drap qui fait figure de linceul. Quant aux animaux, s’ils ne sont pas écrasés au bord d’une route, ils trônent comme un trophée empaillé sur un lit débordant de plis ou comme autant de faces sanglantes débitées en morceaux de boucherie. La langue anglaise voit encore l’affleurement de la vie dans la Still Life, là où la langue française, au contraire, regrette que la nature soit soustraite à son cadre organique dans ce qu’elle nomme « nature morte ». Il semble que Varoqui aime exécuter ses sujets par deux fois en choisissant de les peindre morts ou mal en point. Il exécute une peinture à partir d’un sujet déjà exécuté. Même lorsque le corps est présent, dans la série des dormeurs par exemple, il demeure introuvable sous les amas de draps et d’oreillers. Le corps est encore absent du grand tableau de ce fauteuil recouvert d’un drap (Nous n’userons plus, 2010), alors même que nous voyons un bras par transparence et un pied. Dans une série plus expérimentale, l’envers du corps nous est donné à sentir dans ces toiles où le peintre cherche la forme de son crâne sous sa peau tout en peignant. Cette pensée de la forme absente, de la trace et de la difficulté à faire passer dans le visuel ce qui se touche, n’est-elle pas à l’origine de la peinture ? La fille du potier Butadès de Sicyone détoure sur un mur l’ombre de son fiancé avant qu’il ne reparte à la guerre ; en traçant un cerne dans la nuit pour retenir la forme de son corps présent, elle inscrit à jamais l’idée que la peinture n’avait de thème qu’en creux, toujours prêt à vider les lieux et à exhiber l’absence.


Pour rendre tangible pareille absence, l’on peut user de la déploration, mais ce n’est pas la voie retenue par Varoqui. Il affleure dans toutes ses peintures un certain humour, noir ou d’écolier, qui s’exprime dans les défigurations occasionnées par les plis et dans certains autoportraits. La masse de tissus bourrelés qui se retrouve sur les traits de l’artiste ne ménage en rien une belle image du moi. Affublé d’un bonnet d’âne, d’un collier anti-démangeaison ou d’un cocard déformant, le peintre témoigne des méandres de sa pensée, des difficultés à étaler un sujet dans une histoire jusqu’au plaisir à faire déborder son sujet par des plis envahissants. La très grande sincérité qui se dégage du travail de Noël Varoqui tient peut-être à la position d’équilibriste qu’il occupe si fragilement entre humour et gravité, face à la puissante présence de la mort.


Céline Flécheux

Septembre 2011